13 juin 2019
La fille sans nom, Maëlle Fierpied
La fille sans nom est le dernier roman de la normande Maëlle Fierpied. Il est paru en mars chez L'Ecole des Loisirs.
Camille, quinze ans, fugue un soir de chez ses parents. Parce que communiquer avec eux est devenu impossible, l'adolescente s'enfuit, sur un coup de tête. Lorsqu'elle tombe sur une péniche dotée d'un écriteau recherchant un garçon à tout faire, la jeune fille n'hésite pas. Mais elle n'a pas idée de l'erreur qu'elle vient de faire.
Elle tombe entre les mains de son propriétaire, Hélix, un mage sans scrupule qui lui vole sa mémoire en enfermant son prénom dans un bocal. La jeune fille devient son esclave, propulsée dans un univers où la magie règne. La vie sur la péniche est dure, mais bien vite elle gagne l'amitié de Safre et Margoule, deux frères mi-ogres mi-dragons. Tandis que la péniche avance vers le Tunnel runique, la jeune fille élabore un plan pour s'enfuir.
Quelle belle découverte que ce roman, et je pèse mes mots ! Que c'est bon de lire une histoire qui fait autant la part belle à l'imagination. Maëlle Fierpied signe ici ce qui aurait pu être un premier tome très prometteur, mais a fait le choix d'en faire une histoire complète et non une série. Et pourtant, tous les ingrédients sont là, et j'aurais été la première à attendre avec impatience un second tome.
L'intrigue, tout d'abord, se met en place progressivement et suit le schéma assez classique du conte initiatique. L'héroïne tourne le dos à son quotidien pour entrer dans un monde parallèle aussi onirique qu'effrayant, où les runes, les mages, la sorcelleries et les créatures en tous genres règnent. Les péripéties se succèdent pour la jeune Camille qui va d'aventures en aventures.
La psychologie des personnages est bien étudiée et si l'héroïne est aussi hésitante et inconstante que peuvent l'être les adolescents d'aujourd'hui, elle n'en demeure pas moins attachante dans sa vulnérabilité. Les personnages secondaires qu'elles croisent sont dotés de ce qu'il faut de psychologie pour être intéressants et intriguants. L'écueil du manichéisme n'est pas évité, cependant, pour les méchants de ce monde, mais cela ne gâche en rien le plaisir de la lecture.
Le gros point fort de ce roman réside, selon moi, dans toutes les trouvailles que l'auteure a imaginée pour son monde magique. Celui-ci est très bien construit, cohérent, et prend vie sous la plume imagée et presque cinématographique de Maëlle Fierpied. A l'image de la très belle couverture de ce roman, je me suis prise à m'imaginer les différents univers dépeints avec force détails. Et c'était très agréable.
Vous l'aurez compris, un sans-faute selon moi qui mérite bien des louanges. Merci à L'Ecole des Loisirs de m'avoir permis de découvrir ce roman que j'aurais adoré découvrir plus jeune, tant l'univers m'a fascinée. A lire et à offrir aux lecteurs adolescents autour de vous, sans hésiter une seule seconde.
29 mai 2019
Couleurs, Sylvain Escallon
Couleurs est un album du jeune montpelliérain Sylvain Escallon paru en mars 2017 chez Sarbacane.
Un jeune homme se réveille dans un train, épuisé, sans aucun souvenir. A ses côtés, Herman Desonge, un artiste peintre généreux qui a accepté de le recueillir après la grande catastrophe. Il lui propose un petit salaire, le gîte et le couvert contre l'entretien du jardin de sa grande propriété. Le jeune homme trouve rapidement un rythme dans ces journées en pleine nature, mais aucun souvenir ne remonte. En proie à de terribles migraines, il va consulter un médecin du village peu orthodoxe, ce qui provoque en lui des rêves hallucinés où le jeune homme peint sans n'en garder aucun souvenir au réveil.
Étrange et belle découverte que ce one shot mystérieux et quelque peu angoissant. C'est un peu un hasard mais en ce moment je cumule les intrigues s'intéressant à la question de la mémoire (j'ai adoré dernièrement Aux portes de la mémoire, un thriller haletant sur le sujet !).
Le dessin de Sylvain Escallon emmène son lecteur dans un univers bichromique qui n'est pas sans rappeler celui de Chabouté. Le noir et le blanc alternent pour créer de l'espace et de la matière et dessiner les contours de la nouvelle vie de ce personnage sans nom, tandis que les couleurs surgissent de façon fugace la nuit, avant de disparaître au matin. Les personnages sont soignés, mais l'accent est réellement mis sur les décors et la solitude dans laquelle semble se perdre le héros.
Le malaise point très rapidement au fil des pages inquiétantes, mais je tairai là ce qu'il en est, pour mieux vous laissez découvrir cet album aussi étrange que réussi. Je n'en dirais pas plus, pour laisser le mystère entier, mais sachez que j'ai dévoré d'une traite cette intrigue assez noire, où la vérité semble se cacher dans les méandres de la mémoire du personnage. A découvrir !
Cette semaine, c'est Moka qui accueille le rendez-vous des amoureux des bulles !
20 mai 2019
Aux portes de la mémoire, Felicia Yap
Aux portes de la mémoire est le premier roman de la malaisienne Felicia Yap. Paru en 2017, il est sorti en France chez Harper Collins en février 2019.
Imaginez un monde où l'humanité est divisée en deux catégories : ceux qui ne se souviennent que de la veille, les monos, et ceux qui gardent en mémoire les dernières quarante-huit heures, les duos. Grâce à des tablettes, chacun consigne les jours qui passent pour transformer les souvenirs en faits et garder une traçabilité de sa vie.
Claire, une mono, est mariée à Mark, un duo. Alors que celui-ci jouit d'une carrière d'écrivain célèbre et brigue une place en politique, son épouse vit dans l'ombre, honteuse de ne souvenir que du jour précédent. Mais le jour où un policier vient sonner à leur porte pour interroger Mark à propos du décès d'une jeune femme dans la rivière près de chez eux, son monde bascule. Claire apprend que Mark la trompait et qu'il a peut-être tué cette femme. Mais dans un monde où chacun écrit ses souvenirs pour les transformer en faits, mener une enquête est une course contre la montre.
Je lis peu de thrillers, principalement parce que je suis une petite nature qui a très vite tendance à mal dormir à la moindre intrigue stressante. Mais j'ai été intriguée par ce premier roman et très enthousiaste à l'idée de le découvrir.
Et j'ai rudement bien fait ! Felicia Yap entraîne son lecteur dans cette dystopie avec brio. La narration alternée permet au lecteur de suivre quatre personnages - le couple de Claire et Mark, mais aussi Sophia, la victime, et Hans Richardson, l'inspecteur en charge de l'enquête - et de progresser pas à pas avec ces personnages dans l'intrigue. Celle-ci avance à bon pas, sans temps mort, au rythme de l'enquête que Hans - mono caché sous les traits d'un duo pour espérer une promotion - tente de boucler en une journée.
La psychologie des personnages est bien léchée et évite les caricatures ordinaires et l'écriture cinématographique offre à l'ensemble un aspect visuel fort intéressant.
Tout l'intérêt du roman réside dans cette question de mémoire à très court terme et ses conséquences. L'auteure maîtrise son sujet et a pensé à tous les aspects de sa dystopie. Comment les souvenirs sont consignés, comment les convoquer à nouveau, etc. Les clivages entre monos et duos sont là, dénonçant l'intolérance des seconds à l'égard des premiers, jugés inférieurs. La question de la tolérance et du vivre-ensemble est abordée en finesse et en cette époque troublée, arrive à point nommée.
C'est bien simple : je n'ai pas pu décrocher de ma lecture une fois commencée ! Le dénouement, inattendu et plein de rebondissements, clôt ce roman de façon parfaite. En bref, une petite réussite que j'ai déjà commencé à conseiller autour de moi ! Un grand merci aux éditions Harper Collins pour la découverte de ce thriller ô combien haletant.
18 février 2017
Rue des boutiques obscures, Patrick Modiano
Rue des boutiques obscures est le sixième roman de l'écrivain français Patrick Modiano - dont l'oeuvre a été couronnée par le Prix Nobel de littérature en 2014 - paru en septembre 1978.
Guy Roland est détective. Guy Roland est amnésique, aussi. Quand son patron part à la retraite, Guy décide de partir sur les traces de son identité oubliée. En remontant les maigres pistes parisiennes dont il dispose, il retrouve son nom, ses proches et recompose son passé.
Première incursion dans l'oeuvre de Modiano, ma lecture de Rue des boutiques obscures s'est faite dans l'avion qui m'amenait à Prague, il y a quelques jours. Je suis tombée sous le charme de cette intrigue tournée vers la quête identitaire et la reconstitution d'un passé oublié. Le narrateur, qui enquête sur sa vie avec la précision de son ancienne profession, est un personnage difficile à cerner, qui ne donne à voir que ce qu'il désire de lui. Personnage flou, à l'identité insaisissable, il erre à la recherche de fragments de son passé pour comprendre qui il a été tout en étant observateur des souvenirs que chacun lui relate. Le charme de ces rencontres opère à chaque page, et le lecteur de suivre avec intérêt la reconstruction de ce moi brisé.
Un roman très court, déroutant, captivant, à la limite de l'absurde. Une très belle rencontre avec l'oeuvre de Patrick Modiano.
30 juin 2016
Avant d'aller dormir, S.J. Watson
Avant d'aller dormir est le premier roman du britannique S.J. Watson paru en 2011 chez Sonatine.
Lorsque que Christine se réveille un matin, elle ne reconnaît ni la chambre dans laquelle elle se trouve, ni l'homme couché à ses côtés. Prise d'effroi, la jeune femme s'enferme dans la salle de bain avant de découvrir avec horreur qu'elle a vieilli de vingt ans... L'homme dans la chambre, qui s'avère être son mari, lui apprend qu'elle a perdu la mémoire dans un grave accident il y a vingt ans. Depuis, à chaque fois qu'elle s'endort, Christine efface tous ses souvenirs. Et tous ses matins ressemblent à celui-ci... Commence alors un combat contre l'effacement de ses souvenirs et pour la réappropriation de sa vie, combat qu'elle mène grâce à l'aide d'un médecin qui lui fait écrire tous les jours dans un journal. Mais au fur et à mesure de la lecture de celui-ci, Christine note des incohérences dans ce que lui est dit chaque matin...
Largement conseillé par Amélie après ma lecture de La fille du train (qu'elle m'avait conseillé aussi !), je me suis plongée dans ce roman avec grand plaisir.
L'intrigue démarre sur les chapeaux de roue et entraîne son lecteur au coeur des sentiments nébuleux de l'héroïne, Christine. Cette dernière, qui est aussi la narratrice, emporte le lecteur dans son effroi face à cette révélation sordide : un accident l'a laissée quasi morte et lui a volé toute sa mémoire, la rendant incapable de fixer tout nouveau souvenir et la condamnant à un éternel présent. Les journées passent, rythmées par ces nuits qui effacent tout et le lecteur d'espérer, à chaque nouvel événement, que Christine le consigne soigneusement dans son journal, sa mémoire externe, son support du passé, afin de le retrouver le lendemain matin.
Très vite, pourtant, des incohérences apparaissent et le lecteur est en proie au doute : et si finalement tout n'était pas si simple ? Et si tout n'était pas dit à Christine ? Pour la protéger ? Ou peut-être pas ? Et si elle-même n'arrivait pas à percevoir la réalité telle qu'elle est ? Le roman s'accélère, les incertitudes gagnent du terrain, les moments de doute et d'effroi aussi. L'étau se resserre, jusqu'à un final éclatant.
S.J. Watson parvient à distiller un suspense haletant qui emprisonne son lecteur sans lui donner une once de chance de découvrir la vérité. C'est brillant ! Je suis sortie soufflée de ce roman, les nerfs un peu en pelote, conquise par sa construction narrative. Un thriller psychologique qui remplit parfaitement son rôle ! Merci Amélie pour ce conseil ! (et maintenant, pause dans les thrillers, sinon, petite nature que je suis, je vais finir par ne plus dormir !)
Voici ma quatrième participation pour terminer le Mois anglais
13 juin 2013
Loup y es-tu ?, Henri Courtade
Loup y es-tu ?, paru en 2010 chez Mille Saisons, est le premier roman du biologiste passionné de littérature Henri Courtade .
Imaginez un monde dans lequel les personnages de contes de fées de notre enfance existent. Cendrillon serait mannequin, le Petit Chaperon Rouge une styliste de renom, la Belle au Bois Dormant l'épouse d'un milliardaire et Blanche-Neige travaillerait dans une billeterie à New-York. Mais si ces quatre jeunes femmes n'ont aucun souvenir de leur passé, il n'en est pas de même pour les sorcières qui tentent de les tuer dans leurs contes respectifs. Et ces dernières ne se limitent pas à leur proie désignée et étendent leur influence maléfique sur le monde actuel.
Ces temps-ci, j'ai besoin de lectures qui me permettent de m'évader franchement de la réalité. Vous l'aurez peut-être remarqué au vu de mes récents billets. Être ailleurs, à une autre époque ou autrement, voilà ce qui me plaît en ce moment (et c'est suffisamment rare pour le noter). Et avec cette porosité entre contes de fées et réalité, voilà un roman qui m'a séduite dès les premières pages.
Henri Courtade possède une écriture cinématographique très visuelle qui stimule l'imaginaire de son lecteur tout au long de son roman. Moi qui ai lu ce roman sur une plage idyllique de Guadeloupe, j'ai vu émerger autour de moi des lieux très précis, des plans, des personnages, comme si je regardais un film. Une écriture aussi visuelle est assez rare et possède bien des atouts pour une intrigue merveilleuse comme celle-ci.
De plus, si les détournements de contes de fées possèdent un côté subversif et fascinant, il n'est pas rare de tomber dans certains écueils malheureux. L'auteur a ici réussi à très bien exploiter son idée, sans tomber dans la romance ni dans les clichés du genre. Les héroïnes sont dépoussiérées par rapport à leur conte originel et se sont adaptées à l'époque dans laquelle elles évoluent sans devenir des héroïnes écervelées à la recherche de leur prince charmant. Point d'oiseaux qui aident à faire une tarte ou de jeunes femmes qui frottent les sols mais des personnages à la mémoire abîmée qui peinent à retrouver leurs passés et tentent de réussir leur vie dans notre monde.
Et si tout cela semble déjà original, la véritable originalité de ce roman réside, selon moi, dans le fait de fusionner les contes de fées à l'Histoire. L'auteur a en effet imaginé que les grandes catastrophes de l'Humanité n'avaient pas été décidées que par les Hommes mais que des forces maléfiques les avaient influencés dans leurs décisions. Il n'est nullement question ici de minorer l'Histoire ou d'ôter toute responsabilité à l'Homme mais d'imaginer que les personnages maléfiques des contes ont pu avoir, à un moment ou à un autre, une influence invisible et un intérêt à inciter à tant de barbarie. Comme si le Mal rôdait entre les contes et la réalité. Cette interpénétration angoissante est source de bien des possibles.
Je n'ai pas pu m'empêcher d'établir un parallèle avec la série Once Upon a time, contemporaine de la sortie de ce roman et que j'aime beaucoup, même si cette dernière plonge plus franchement, au fil des saisons, dans le merveilleux que dans l'historique.
En tout cas, vous l'aurez compris, j'ai été happée par cette histoire merveilleuse. Si vous avez envie d'imaginer que parmi nous se cachent des personnages de contes, ouvrez Loup y es-tu ?
D'autres avis : Coralie, Karine:), Lynnae, Melisende, Mina, Petite Noisette, Phooka, etc.
Première participation au Challenge Des contes à rendre de Coccinelle !
29 juin 2011
La boîte noire, Jacques Ferrandez et Tonino Benacquista
La boîte noire est une nouvelle de Tonino Benacquista publiée en 2001 dans un recueil intitulé Tout à l'ego. Elle a été adaptée en BD la même année et portée à l'écran en 2005 par Richard Berry avec José Garcia dans le rôle titre. Ayant passé un excellent moment avec L'Outremangeur, de Benacquista et Ferrandez, j'ai eu envie de découvrir une autre BD de ce tandem.
Arthur Seligman est victime d'un grave accident de voiture qui lui provoque une amnésie partielle. Janine, une des infirmières qui s'occupent de lui, lui confie à sa sortie d'hôpital un carnet dans lequel elle a noté les paroles qu'il a proférées lors de son coma. Un accès à sa boîte noire, en somme, dans laquelle se trouvent consignés ses désirs, ses peurs et ses fantasmes...
Avec cette nouvelle, Benacquista donne à voir à son lecteur une partie fascinante du cerveau humain : celle du subconscient, celle à laquelle nous n'aurons pas accès, et qui contient nos désirs les plus profonds. Qui n'a jamais eu envie de percer à jour son propre cerveau ?
Bien entendu, le risque de confondre fantasme et réalité est grand, et Benacquista n'en fait pas l'impasse. Son personnage tente coûte que coûte de comprendre les méandres de sa mémoire, entre vrais souvenirs et réminiscences tronquées ou faussées, au risque de se perdre...
Le trait de Ferrandez accompagne ces flous dans la mémoire du personnage. Les plongées dans la boîte noire d'Arthur, en particulier, frôlent l'abstrait, et les couleurs vives utilisées illustrent à merveille sa confusion mentale.
J'avais lu cette nouvelle plus jeune, mais je n'en ai aucun souvenir. Cette lecture était donc comme une découverte, plutôt agréable, même si j'ai été moins charmée par le travail de Ferrandez que dans L'Outremangeur, première collaboration de ces deux auteurs en BD.
Et voici ma dix-septième participation
à la BD du mercredi de Mango !
Et ma neuvième au Top BD des blogueurs de Yaneck!
(note : 14/20) qui présente le Top BD du moi de juin aujourd'hui !