31 août 2011
Je mourrai pas gibier, Alfred
Je mourrai pas gibier est à l'origine un roman de Guillaume Guéraud paru aux éditions du Rouergue, dans la collection "DoAdo noir", en janvier 2006. Parce que sa lecture a été un choc pour lui, Alfred a décidé de l'adapter en BD.
Le personnage principal est un jeune de Mortagne, une ville de mille habitants et des poussières dont les seuls sources d'emploi sont la scierie et les vignes. Une rivalité oppose les travailleurs des deux entreprises.
Pour échapper à tout ça, le narrateur est parti étudier en CAP mécanique et ne revient que le weekend chez ses parents, où il aime partager des moments avec Terence, l'idiot du village, dont les autres se moquent. Jusqu'à ce jour terrible...
Je mourrai pas gibier est un roman qui avait fait couler beaucoup d'encre lors de sa sortie dans une collection pour adolescents aux éditions du Rouergue. La fameuse dialectique de dire l'indicible en jeunesse. Et je comprends bien pourquoi. Cette BD s'ouvre sur un bain de sang au milieu duquel trône le narrateur qui se présente dès lors comme le meurtrier. Huit victimes, dont un enfant, tuées à la pelle, au marteau et au fusil. Devant une folie meurtrière comme celle-ci, une seule question : pourquoi ?
L'intrigue en elle-même est violente - la folie meurtrière qui s'empare d'un adolescent - mais est amenée d'une manière telle que le lecteur est happé par ces vies brisées et cette fatalité intrinsèque à ce village. Comme si rien n'existait autour de Mortagne, microcosme étouffant et malsain, que cette querelle ancestrale et les bagarres qui en découlent. Comme si aucune échappatoire ne s'offrait au personnage, sinon celle de s'orienter vers une autre branche professionnelle. Comme si la vie se jouait de ces personnages minuscules aux destins dérisoires.
Même l'univers graphique d'Alfred épouse la violence du texte. Il ne s'agit pas ici de litres d'hémoglobine, non, mais d'un trait et de couleurs qui semblent porter en eux la tragédie. Alfred a pris le parti, lors de scènes de violence, de les dénuer de couleurs. Comme si le temps s'arrêtait. Comme si la violence était comme la colère, blanche. Comme si la haine n'avait pas besoin de couleurs pour s'exprimer. Ce choix graphique offre un choc visuel lors de la lecture qui semble faire écho au poids des mots choisis par Guéraud pour décrire la scène.
Bref, vous l'aurez compris : Je mourrai pas gibier est une BD dont on ne ressort pas indemne, violente, mais d'une intelligence telle que je ne peux que vous la conseiller. Lecture mémorable en perspective.
"Je suis né chasseur ! Je mourrai pas gibier !" (p.12)
"A Mortagne, on n'a pas vraiment les moyens de réfléchir, en fait. On a bien un cerveau,
mais rien d'autre à mettre dedans que du raisin, des planches, de la sueur et du plomb.
C'est comme ça.
Pour le reste, on n'a pas les armes qu'il faut pour changer les choses." (p.55)
L'avis de Noukette, Val, Canel, Mo', Yaneck et l'Ogresse sur cet album.
Alfred, le scénariste et dessinateur de cette adaptation en BD, se livre dans ce billet à une interview passionnante sur son travail d'adaptation.
Et, petit plus, vous pouvez feuilleter la BD sur le site de Delcourt.
Et voici ma vingtième participation
à la BD du mercredi de Mango.
Et ma onzième participation
au Top BD des blogueurs de Yaneck
(note : 18/20)
Et l'heure du bilan BD du mois d'août, qui découle du Top BD, a sonné.
En voici les 10 premiers.
Pour la suite, rendez-vous chez Yaneck.
1- (=) Persépolis, Marjanne Satrapi, L'Association 19.29
2- (N) Gaza 1956, Joe Sacco, Futuropolis 19.17
3- (=) Tout seul, Christophe Chabouté, Vents d'Ouest 18.83
4- (+) Maus, Art Spiegelmann, Flammarion 18.79
5- (- ) Le journal de mon père, Jiro Taniguchi, Casterman 18.75
6- (=) Elmer, Gerry Alanguilan, Ca et là 18.68
7- (=) Garance, Gauthier, Labourot, Lerolle, Delcourt 18.67
8- (=) Universal War One, Denis Bajram, Soleil 18.59
Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4, Tome 5, Tome 6.
9- (=) Le Grand pouvoir du Chninkel, J. Van Hamme, G. Rosinski, Casterman 18.5
10- (=) V pour Vendetta, Alan Moore, David Lloyd, Delcourt 18.44
... (pour lire la suite)
Vos commentaires
- Malheureusement cette violence resurgit de plus en plus souvent dans les actualités. Ce titre est bien dans la liste des BD que je désire lire.
- @Mango : C'est sûr... Mais j'ai trouvé dans ce texte l'autre côté de ces violences : celui du meurtrier. Même si c'est une fiction, Guillaume Guéraud propose une analyse psychologique très fine qui permet d'appréhender tous les rouages qui mènent à ce genre de tragédie. A lire, sans aucun doute.
@Jérôme : Je n'ai pas lu le roman, et j'ai longtemps pensé qu'il fallait d'abord que je le lise avant de lire son adaptation BD. Finalement, j'ai commencé par la BD, mais je compte me procurer le roman rapidement.
@Yaneck : C'est vrai ! On ne pense pas une seconde être en présence d'un texte pour la jeunesse. Et pourtant, c'est tout l'intérêt !
@Mo' : C'est indéniablement une lecture très marquante qui ne laisse pas insensible...
@Sara : Ne t'arrête pas aux dessins, surtout pas ! Quand tu ouvres une BD comme "Je mourrai pas gibier", tu n'es pas là pour passer un agréable moment. Tu sais d'ores et déjà que tu vas te laisser conter une tuerie vue par le meurtrier lui-même. Tu sais que tu seras mal à l'aise mais que tu trouveras ça grand quand même. Et les dessins participent de ce malaise éprouvé dès l'ouverture de l'album. N'hésite pas, lis-le !
@Lae : Si tu veux, je l'emprunte quand vous venez passer un weekend à la maison. C'est l'histoire d'une vingtaine de minutes très marquantes... - J'adore:
'Alfred a pris le parti, lors de scènes de violence, de les dénuer de couleurs. Comme si le temps s'arrêtait. Comme si la violence était comme la colère, blanche. Comme si la haine n'avait pas besoin de couleurs pour s'exprimer. Ce choix graphique offre un choc visuel lors de la lecture qui semble faire écho au poids des mots choisis par Guéraud pour décrire la scène'
Excellent souvenir de lecture ! - @Pg Luneau : Difficile de rester de marbre face à cette BD ! J'ai écrit mon billet à chaud, sous le coup de l'émotion... Tu ne seras pas déçu si tu te laisses embarquer dans cette lecture.
@L'Ogresse : Merci !
@Noukette : J'ai moi aussi pris une claque, mais sans la dimension de comparaison avec le roman originel que je n'ai pas lu. J'imagine ce que ça doit être... - Le roman...Comme tu le sais, je suis une "handicapée" de la BD (je n'arrive pas à synchroniser les images et le texte), alors j'ai décidé de lire le roman de Guillaume Guéraud.
Hou la la ! quelle histoire ! Je comprends qu'on ne puisse pas sortir indemne d'une telle narration, condensée, ramassée sur elle-même, comme cet adolescent brisé, disloqué par un enchaînement d’évènements tous plus insoutenables les uns que les autres.
Merci, Soukee, de m'avoir fourni l'occasion de rencontrer ce roman, qui, n'est pas réservé aux seuls adolescents.